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Contrat d’assurance homme-clé mixte : la société débitrice peut-elle déduire l’intégralité des primes ?

Civil - Personnes et famille/patrimoine
19/03/2018
Par un arrêt du 31 mars 2017, le Conseil d’État détermine enfin les règles de déduction applicables aux primes afférentes à un contrat d’assurance homme-clé mixte alliant assurance-décès et assurance-vie. Désormais, la fraction de la prime relative au risque de décès est immédiatement déductible du résultat net de l’entreprise si son montant est justifié.
 
Par Sybille de BRAQUILANGES
Rédigé sous la direction de Pascal LAVIELLE, directeur du pôle ingénierie patrimoniale et support juridique - Cardif BNP Paribas
En partenariat avec le Master 2 Droit du patrimoine professionnel (223), Université Paris-Dauphine

 
La couverture proposée par la mise en place d’un contrat d’assurance homme-clé mixte
« Ce n’est pas l’Homme qui arrête le temps, c’est le temps qui arrête l’Homme » (Mémoires d'outre-tombe – François-René de Chateaubriand). Ainsi, la meilleure preuve de sagesse est l’anticipation.
Si aujourd’hui, une entreprise sur trois doit fortement réduire son activité ou ne survit pas suite au décès de son dirigeant, il apparaît essentiel de prévenir cette perte potentielle par la souscription d’un contrat d’assurance homme-clé.
L’assurance homme-clé est contractée par l’entreprise, à son profit, sur la tête d’un ou plusieurs de ses dirigeants ou collaborateurs, essentiels à son fonctionnement. Elle a pour objet de compenser le préjudice pécuniaire subi par une entreprise résultant du décès ou de l’incapacité de ces personnes jugées indispensables à son exploitation par le versement d’une indemnité. Ce contrat d’assurance repose donc sur une ambivalence car il met en présence l’entreprise, à la fois souscripteur et bénéficiaire, et l’homme clé comme assuré, son activité impactant fortement les résultats de l’entreprise.
Sur le plan fiscal, par combinaison des articles 39 et 209 du Code général des impôts, les primes afférentes aux contrats d'assurance « homme-clé » constituent des charges d'exploitation déductibles de l'exercice en cours à la date de leur échéance.
Fort prospère jusqu’aux années 1980, le contrat mixte d’assurance permet de combiner épargne et prévoyance. En effet, le contrat d’assurance est mixte lorsqu’il a pour objet d’une part, la garantie contre le risque de décès des dirigeants de la société (prévoyance), d’autre part, le reversement à ces dirigeants des primes acquittées en cas de non-survenance du risque (épargne).
            Le traitement fiscal des primes versées lors d’un contrat mixte d’assurance homme-clé apparaît donc problématique. L’arrêt du 31 mars 2017 était attendu.
 
Un arrêt fondateur quant au sort des primes versées dans le cadre d’un contrat d’assurance mixte
 
Le cadre économique et fiscal
Le contrat d’assurance peut être qualifié d’opération tant de placement que de prévoyance. Une nécessaire distinction permet d’opposer l’assurance-vie à l’assurance-décès. Le contrat d’assurance-vie assure à son souscripteur le versement d’un capital à une date déterminée en cas de vie de l’assuré. Il en constitue un instrument d’épargne. Au contraire, l’assurance-décès couvre le risque de disparition d’une personne déterminée. Elle caractérise une logique de prévoyance, les primes versées par l’assuré étant définitivement perdues en cas de non survenance du risque.
Cette qualification ayant des conséquences sur la déductibilité fiscale des primes, il est fait extension de ce principe par l’instruction fiscale en date du 7 mars 1994, reprise au BOFiP. Cette dernière reconnaît que les primes des contrats d’assurance-vie souscrits par l’entreprise, ne sont pas des charges déductibles des exercices au cours desquels elles sont versées. Elles ne pourront être retranchées qu’au dénouement du contrat, ce dernier réalisant un placement financier. En revanche, les primes supportées par l’entreprise pour la couverture du risque décès d’une personne déterminée sont immédiatement déductibles. 
Il est fait application de ce traitement fiscal différencié au contrat d’assurance homme-clé. Les primes versées par l’entreprise dans le cadre d’une assurance-décès contractée au profit de l’entreprise sur la tête d’un homme-clé sont immédiatement déductibles du résultat d’entreprise (CE, 29 juill. 1998, n° 108244, SA Clinique Lafourcade). Le critère essentiel de déductibilité repose désormais sur la circonstance que le contrat a pour seul objet la couverture d’un risque dont la survenance est éventuelle, et sur le fait que le bénéficiaire du contrat est irrévocablement la société.
 
Quel est le sort des primes d’un contrat d’assurance homme-clé mixte, couvrant le risque de décès mais présentant également les caractéristiques d’une assurance-vie ?
 
Par un contrat d’assurance mixte, l’assureur s’engage à verser un capital au moment du décès s’il survient pendant une période déterminée, ou au terme du contrat si à cette date l’assuré est toujours en vie. Le versement du capital répond alors à une logique assurantielle tant que court le contrat, et à une logique de placement lorsqu’il n’est exécuté qu’à son terme.
La doctrine administrative fait masse de l’ensemble des contrats et assimile les assurances homme-clé mixtes à des instruments de placement. Elle exclut la déductibilité immédiate des primes, qui peuvent seulement être retranchées en fin de contrat ou lors de la réalisation du risque (BOI-BIC-CHG-40-20-20, no 110).
Si cette question a déjà été présentée devant le Conseil d’État, la solution alors retenue par ce dernier avait permis d’éviter toute prise de décision concernant la déductibilité d'une prime versée au titre du contrat d'assurance-décès d'un de ses dirigeants souscrit au profit de l'entreprise. En effet, il avait refusé la déduction des primes au motif que la société requérante ne justifiait pas « en tout état de cause » du montant de la fraction de cotisation qui aurait été destinée à couvrir le risque décès (CE, 11 mai 1994, n° 86867).
 
Une décision novatrice du Conseil d’État
 
En l’espèce, une société hôtelière souscrit deux contrats d’assurance-décès en 2004 pour s’assurer contre le décès de ses deux dirigeants avant le 1er décembre 2012. Concomitamment, les deux dirigeants souscrivent deux contrats permettant en premier lieu de faire bénéficier ses ayants-droits de la prime en cas de survenance de son décès entre le 1er décembre 2012 et le 30 novembre 2014, et en second lieu de bénéficier personnellement du reversement de la prime en cas de vie au 1er décembre 2014.

L’administration fiscale fait masse de l’ensemble des contrats et les qualifie d’opérations de placement, bien que la société ne soit bénéficiaire d’aucun reversement en cas de vie des dirigeants. Selon son raisonnement, aucune prime ne peut bénéficier de déduction dans le cadre des contrats assurance-décès.
La cour administrative d’appel opère une caractérisation identique, déterminant les contrats d’opérations de placement. Pour autant, elle se distingue de l’administration fiscale. En effet, elle refuse la déductibilité des primes d’assurance-décès au motif que la société est dans l’impossibilité de justifier le montant de la fraction de la prime exclusivement destinée à la garantir contre le risque de décès de ses dirigeants.
Le Conseil d’État confirme l’analyse de la cour administrative d’appel (CAA Paris, 14 nov.-2014, n° 13PA03302).
 
La déductibilité immédiate de fraction de la prime afférente au risque de décès sous réserve que son montant soit justifié
 Par son arrêt du 31 mars 2017, le Conseil d’État fixe pour la première fois les règles de déduction des primes versées dans le cadre d’un contrat d’assurance homme-clé mixte. Il opère une nécessaire distinction entre la fraction de la prime afférente au risque de décès et la fraction de la prime versée à l’homme-clé en cas de non survenance du risque. En réalisant cette différence de traitement, le Conseil d’État infirme donc la doctrine administrative.
Désormais, la fraction de la prime afférente au risque de décès est immédiatement déductible sous réserve que son montant soit justifié.
Source : Actualités du droit