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Publication par l’Autorité de la concurrence de sa contribution au débat sur la politique de concurrence face aux enjeux posés par l’économie numérique

Affaires - Immatériel
24/02/2020
L’Autorité de la concurrence a publié, le 21 février, une contribution au débat sur la politique de concurrence face aux enjeux posés par le développement de l’économie numérique. 
Elle exprime ainsi sa volonté de participer aux réflexions en cours sur la réforme du droit de la concurrence au niveau européen et mondial en faisant le point sur ses analyses et en proposant des pistes de réforme.Alors que 2019 a été marquée par de nombreux rapports sur les réformes du droit de la concurrence et l’économie numérique et que 2020 devrait voir émerger de nombreuses initiatives en la matière au niveau international, européen et national, l’Autorité de la concurrence fait part de ses réflexions et propositions pour adapter l’action des autorités de concurrence aux enjeux posés par l’économie numérique.

Sa contribution aborde le traitement des pratiques anticoncurrentielles dans le contexte de l’économie numérique ainsi que les enjeux liés au contrôle des concentrations. 
Sa réflexion intègre les évolutions qui pourraient se faire à droit constant ainsi que celles qui nécessiteraient des modifications du cadre juridique. A cette fin, elle propose notamment des éléments permettant de définir les plateformes structurantes. 

Les pratiques anticoncurrentielles appliquées à l’économie numérique
Le droit de la concurrence est un outil particulièrement efficace pour traiter les problématiques d’une économie marquée par une très forte innovation.
L’Autorité rappelle que le droit de la concurrence constitue un moyen particulièrement efficace pour maintenir la dynamique concurrentielle de l’économie numérique. Il est en effet un droit plastique dont les concepts peuvent s’adapter à de nouvelles pratiques, sans nécessiter d’intervention du législateur.
Les autorités de concurrence ont ainsi démontré leur capacité à se saisir des comportements des acteurs du numériques en recourant à des raisonnements innovants ou en appliquant des solutions bien établies à des services nouveaux. Il en a ainsi été s’agissant d’un système d’exploitation (affaire Google Android de la Commission), de services de publicité en ligne (affaire Google AdSense de la Commission européenne ou décision Google/Gibmédia de l’Autorité de la concurrence), d’un moteur de recherche « vertical » (Affaire Google Shopping de la Commission européenne) ou encore de réseaux sociaux et de collecte de données (décision Facebook du Bundeskartellamt en Allemagne, 2019).
Ces exemples montrent que les autorités de concurrence s’attachent, par une pratique innovante le cas échéant, à traiter de façon effective les problématiques posées par l’économie numérique, et à faire évoluer leur analyse à droit constant.

L’Autorité suggère plusieurs pistes d’évolution à droit constant pour relever les défis de l’économie numérique 
Elle s’interroge sur les adaptations possibles de la notion de position dominante et d’infrastructure essentielle pour prendre en compte les caractéristiques de l’économie numérique marquée, entre autres, par l’importance des données ou l’existence de vastes communautés d’utilisateurs.
Elle souligne la pertinence du recours aux procédures de mesures conservatoires et d’engagements dans le secteur numérique qui permettent d’assurer une intervention particulièrement rapide et proportionnée. Elle soutient le recours plus important aux mesures conservatoires au niveau européen, lequel pourrait nécessiter une modification du standard juridique applicable.

L’Autorité explore l’adoption de dispositions concernant spécifiquement les opérateurs dits « structurants ».
Elle explore ainsi la possibilité de compléter le droit de la concurrence, au niveau national ou européen, par un mécanisme permettant d’intervenir sur les comportements nuisibles à la concurrence mis en œuvre par les opérateurs dits « structurants ». 
Ces opérateurs ont acquis une telle importance que certains de leurs comportements peuvent affecter  le bon fonctionnement concurrentiel des marchés sur lesquels ils sont dominants mais également au-delà de ces marchés, en raison de leurs capacités de développement et de projection dues, entre autres, à leur capacité financière, au bénéfice d’effets de réseau importants liés à leur vaste communauté d’utilisateurs ou aux données auxquelles ils ont accès.
Différents comportements mis en œuvre par ces plateformes structurantes peuvent en effet s’avérer problématiques du point de vue du droit de la concurrence, tels que la discrimination de produits ou services concurrents, l’entrave à l’accès aux marchés sur lesquels elles ne sont pas structurantes, l’utilisation de données sur un marché dominé pour en rendre l’accès plus difficile, l’entrave à l’interopérabilité des produits ou services ou la portabilité des données, l’entrave à la multi-domiciliation (« multi-homing »), sans qu’il soit toujours possible de caractériser, au vu du standard actuel, un abus de position dominante. 

L’Autorité propose ainsi une définition des « plateformes numériques structurantes » qui pourrait être introduite dans le droit de la concurrence, que ce soit au niveau national ou au niveau européen. Dans ce cadre, un nouveau régime juridique pourrait permettre  de prévenir et sanctionner les comportements anticoncurrentiels mis en œuvre par ces opérateurs en situation de quasi-dominance, mais aussi de prévoir des obligations opposables à ces opérateurs en termes d’interopérabilité, de non-discrimination ou d’accès aux données. 

L’autorité de concurrence compétente pourrait ainsi, au cas par cas, soit accepter et rendre obligatoire des engagements, soit enjoindre à l’entreprise concernée de modifier son comportement afin de répondre à la préoccupation de concurrence identifiée, sous astreinte le cas échéant, soit sanctionner de manière ex post le comportement anticoncurrentiel mis en œuvre.

Le contrôle des concentrations dans l’économie numérique
L’Autorité fait le constat de l’absence de contrôle de certaines opérations en dessous des seuils susceptibles de soulever des préoccupations de concurrence 
Les nombreuses opérations réalisées par les géants du numérique ont révélé l’existence d’un vide juridique susceptible de faire échapper certaines transactions au contrôle des autorités de concurrence dans les cas où elles concerneraient un acteur innovant « naissant » ou n’ayant pas encore monétisé son innovation.
Dans ce contexte, elle estime qu’il est également utile de mener une réflexion sur l’adaptation de l’analyse concurrentielle aux enjeux numériques, notamment sur la prise en compte de la concurrence potentielle, l’analyse des effets congloméraux et l’horizon temporel pertinent de l’analyse à retenir. Par ailleurs, la prise en compte de l’importance des données et la création de vastes communautés d’utilisateurs sont des éléments auxquels l’Autorité apportera une vigilance particulière.

L’Autorité examine l’intérêt du recours aux engagements comportementaux dans l’économie numérique. Elle envisage également l’utilisation de l’article 22 du règlement 139/2004 qui permettrait aux autorités nationales de concurrence de renvoyer à la Commission européenne une opération de concentration susceptible d’affecter la concurrence sur le territoire national.

Elle réfléchit, enfin, à la pertinence de l’introduction d’un mécanisme d’information systématique de toutes les opérations de concentrations réalisées par les plateformes numériques structurantes. 
Elle propose également l’introduction pour les autorités de concurrence du pouvoir d’enjoindre la notification d’opération de concentration sous les seuils si ces opérations sont, au regard de certaines conditions prédéfinies, susceptibles de soulever des préoccupations de concurrence. 
Source : Actualités du droit